Depuis quand cultive-t-on de la vigne en Belgique ? On pourrait croire que la vigne est un phénomène récent sous nos latitudes, mais les racines de la viticulture belge remontent plus loin qu’on ne l’imagine. Plusieurs historiens et archéologues s’accordent à dire que l’implantation de la vigne dans nos régions trouve son origine à l’époque romaine. Déjà au premier siècle, des écrits laissent entendre que les Romains auraient tenté l’expérience de la culture de raisins dans certaines zones abritées, notamment le long de la Meuse.
L’administration romaine, toujours en quête de ressources pour approvisionner ses légions et ses colonies, aurait introduit quelques cépages adaptés au climat local. On pense en particulier à des variétés résistantes, capables de survivre aux hivers du nord de la Gaule. Bien sûr, la production restait modeste, car les conditions climatiques n’étaient pas aussi favorables que dans la région de la Méditerranée. Malgré tout, ces premières tentatives constituent l’acte de naissance d’une tradition qui perdurera sous différentes formes à travers les siècles.
Le témoignage d’une présence romaine dans la région de Huy, près de la Meuse, est particulièrement intéressant : on y a retrouvé des vestiges de villas gallo-romaines, ainsi que des jarres et des outils pouvant servir à la vinification (Source : , collection archéologique). Même si ces découvertes sont parcellaires, elles suggèrent déjà un attrait pour la vigne, probablement motivé par la volonté de reproduire un produit typiquement romain.
Au fil des siècles, la Belgique médiévale voit se développer un nouveau moteur de la viticulture : les abbayes. Les moines, dotés d’un savoir-faire considérable en matière d’agriculture et de culture, comprennent vite l’importance du vin dans la vie religieuse et sociale de l’époque. La vigne, nécessaire à la production de vin de messe, devient une ressource stratégique pour de nombreuses communautés monastiques comme l’abbaye de Saint-Trond ou encore l’abbaye de Floreffe.
Ces établissements religieux s’installent dans des lieux propices, souvent à proximité d’une rivière comme la Meuse, le Val de Sambre ou le long de la Dyle, afin de bénéficier d’un microclimat plus doux et d’un accès aisé au transport des marchandises. Ils entretiennent des vignobles destinés non seulement au culte, mais aussi à la consommation interne et à la commercialisation. Plusieurs chartes médiévales attestent l’existence de vignes autour de Namur, Amay et Liège, dont certaines dépendaient directement de ces abbayes.
Au XIIe siècle, un texte fait même mention de terres “sur lesquelles la vigne prospère”, évoquant la présence de parcelles viticoles près de l’actuelle ville de Huy. Pour pérenniser cette production, les moines n’hésitent pas à former des vignerons laïcs, assurant ainsi la diffusion des techniques de vinification. Il est d’ailleurs question, dans certains écrits de l’évêché de Liège, d’une “cour des vignes” gérée collectivement pour optimiser la récolte du raisin et la mise en jarres du moût fermenté.
Durant le Haut Moyen Âge, la production de vin en Belgique est étroitement liée à la vie religieuse, mais elle suscite également l’intérêt des seigneuries laïques. Posséder un vignoble bien entretenu devient signe de prestige. Des chartes du XIIIe siècle font état de donations de parcelles de vigne à des chevaliers ou à des abbés en guise de remerciement pour services rendus à la cour seigneuriale.
Plusieurs seigneurs locaux, notamment dans la région de Brabant, encouragent la culture de la vigne sur leurs terres afin de diversifier leurs revenus et de valoriser leurs domaines. On voit alors apparaître des actes officiels régulant l’entretien, la vendange et la commercialisation du vin. C’est à cette époque que se dessine l’identité viticole belge, même si les surfaces cultivées restent modestes comparées à celles de la France ou de l’Allemagne.
Les cépages cultivés demeurent difficiles à identifier précisément. Les textes médiévaux ne mentionnent pas toujours les noms des variétés, mais il est probable que l’on cultivait des raisins blancs à maturité rapide, adaptés à un climat relativement frais. Ces vignes, parfois appelées “Vignes de Sainte-Croix” ou “Vignes de Saint-Martin” dans les registres d’abbaye, produisaient des vins légers, souvent utilisés pour la table du seigneur ou pour les fêtes religieuses.
Entre le XIIe et le XIVe siècle, le vignoble belge atteint son expansion la plus significative. Dans certains lieux stratégiques, comme les collines autour de Huy, on défriche des terrains en pente pour y planter des vignes, profitant ainsi d’une exposition plus favorable au soleil. La ville de Namur, quant à elle, répertorie dans ses archives plusieurs parcelles viticoles appartenant à des marchands ou à des familles bourgeoises.
Cependant, à partir du XIVe siècle, un phénomène de refroidissement général, souvent qualifié de “Petit Âge Glaciaire”, perturbe considérablement le développement de la vigne en Europe du Nord. Les hivers se font plus longs, les printemps tardifs, et la maturation du raisin devient de plus en plus laborieuse. De nombreux vignerons renoncent alors à la culture de la vigne, préférant investir leur temps dans des céréales ou de l’élevage, plus rentables sous ces latitudes. Certains vignobles de Wallonie sont laissés à l’abandon, entraînant un déclin progressif de la production de vins belges.
Malgré ces difficultés, la viticulture belge ne disparaît pas complètement. Dans certaines enclaves privilégiées, comme les coteaux de Liège ou du Brabant, des vignes subsistent grâce à des microclimats plus cléments ou à la protection de mécènes locaux. La cour des ducs de Bourgogne, très présente dans nos régions au XVe siècle, encourage par exemple la production d’un vin de qualité pour honorer ses convives.
L’intérêt demeure toutefois limité, car les importations de vins étrangers s’intensifient. Dès le XVIe siècle, on fait venir des vins de France ou du Rhin, souvent perçus comme supérieurs en goût et plus fiables en volume. Les vignerons belges subissent cette concurrence grandissante, d’autant plus qu’un raisin local peinant à atteindre une maturité satisfaisante ne peut rivaliser aisément avec les crus réputés de Bordeaux ou de la Moselle.
Au cours des siècles suivants, l’évolution agricole et industrielle, ainsi que les guerres récurrentes, n’épargnent pas les rares vignobles subsistants. La production viticole en Belgique devient quasiment anecdotique à la fin du XIXe siècle, sauf dans quelques domaines isolés.
À partir des années 2000, un véritable regain d’intérêt pour la viticulture belge se manifeste. Avec des techniques modernes, une meilleure adaptation des cépages et un climat plus favorable, la Belgique se forge une nouvelle identité viticole. Aujourd’hui, la production de vin belge connaît un essor prometteur, avec des vins blancs et mousseux particulièrement appréciés.
La viticulture belge, après avoir traversé les siècles entre gloire et oubli, est désormais prête à écrire un nouveau chapitre de son histoire.